« Chercheur de perfection est un métier splendide. J’en ai fait ma carrière » Jean-Claude Killy.

En Février 1968 pendant les Jeux Olympiques de Grenoble, Jean-Claude Killy est en pleine action : ses yeux sont fermés, le chronomètre tourne, tout son corps exécute ce ballet millimétré dans chaque courbe et dans chaque virage. La descente est finie, il ouvre les yeux, un opérateur arrête le chronomètre. Maintenant, Jean-Claude Killy s’élance sur la piste et de nouveau le chronomètre est déclenché. Après avoir terminé ces deux descentes, l’une dans son esprit et l’autre sur la piste, l’opérateur annonce à Jean-Claude Killy que le temps est exactement le même à la seconde prés.

Coïncidence ? Pas du tout, cela s’appelle la visualisation. Cette technique a, depuis, fait des émules dans le domaine du sport de haut niveau. Aujourd’hui, grâce aux différentes recherches faites en neurosciences, la visualisation devrait faire partie du bagage de tout sportif de haut niveau, encore faut-il correctement l’enseigner !

Dans cet article, vous allez découvrir pourquoi la visualisation contribue à la performance du sportif et quels sont les écueils à éviter pour y arriver.

Qu’est-ce que l’imagerie mentale ?

Le cerveau réalise de l’imagerie mentale lorsqu’il est dans une des trois configurations suivantes :

  • Évocation d’un souvenir
  • Anticipation ou projection sur un évènement à venir
  • Interprétation, comparaison, analyse

Pour faire cela, le cerveau doit alors puiser dans tout ce qu’il a en mémoire concernant sa perception du monde à travers :

  • Le toucher : imagerie tactile
  • Les sensations corporelles : imagerie kinesthésique
  • La vue : imagerie visuelle
  • L’ouïe : imagerie auditive
  • L’odorat : imagerie olfactive
  • Le goût : imagerie gustative

L’imagerie mentale est alors une reconstruction du passé ou une construction du futur à partir d’éléments enregistrés permettant au cerveau de se mettre « en mouvement » dans un processus d’actions. S’il manque des informations, alors le cerveau complète.  Ceci rend d’ailleurs la perception très subjective. Néanmoins, la façon dont le cerveau complète l’information manquante peut en dire beaucoup sur la façon de percevoir le monde. La preuve est en image juste en dessous !

Vous constatez qu’il y a deux façons d’interpréter chacune de ces images.

En effet, tout le monde pratique de l’imagerie mentale : vous pensez à vos dernières vacances ou vous imaginez les prochaines ? Vous faites de l’imagerie mentale !

Par conséquent, la question est maintenant de comprendre pourquoi ce fonctionnement particulier du cerveau peut être utile au sportif de haut niveau.

Les avantages de la visualisation mentale pour le sportif de haut niveau

Apprendre à se servir de ces capacités particulières du cerveau permet au sportif de haut niveau d’améliorer l’apprentissage du geste moteur, la performance, les stratégies de jeux, la résolution des problèmes, la gestion de la motivation, la confiance en soi, l’anxiété, la rééducation fonctionnelle et la réathlétisation (1).

Amélioration de l’apprentissage du geste moteur et de la performance

« J’ai doublé mon palmarès les dernières années de ma carrière grâce à la préparation mentale. » – Michael Phelps, 22 médailles olympiques

Que vous couriez ou que vous fermiez les yeux en vous imaginant courir, les zones du cerveau sollicitées sont sensiblement les mêmes (2). De cette capacité fondamentale du cerveau aussi appelée équivalence neuro-fonctionnelle, il est en résulte un potentiel direct pour l’athlète.

Grâce à la visualisation mentale, le sportif a la possibilité d’accélérer le temps d’apprentissage d’un geste technique mais aussi d’améliorer sa performance. Ainsi, Il a été démontré qu’associer la visualisation mentale à une pratique physique augmentait la performance du sportif (3) et même la souplesse comme cela a été constaté pour des athlètes en natation synchronisée (4).

Dans le cadre de mes accompagnements faits avec certains sportifs de haut niveau notamment certains footballeurs, champions du monde 2018, la visualisation associée à un travail physique a permis de maintenir un très bon niveau de performance pendant la période du premier confinement où les moyens d’entrainements étaient limités.

Amélioration des stratégies de jeux

Par ailleurs, la visualisation mentale amène progressivement les sportifs de haut niveau à être plus efficients dans leurs stratégies de jeux. En visualisant des espaces et des opportunités, le joueur passe de la tactique à l’intelligence de jeu.

La résolution des problèmes

Un débutant en imagerie mentale aura tendance à activer des zones très larges de son cerveau pour résoudre un problème quel que soit l’origine de ce dernier (apprentissage, compétition). À l’opposé, un sportif ayant l’habitude de pratiquer l’imagerie mentale déclenchera uniquement les zones utiles à la résolution du problème. En ciblant uniquement les zones efficaces du cerveau pour effectuer ce processus, le sportif devient plus efficient (5)

La gestion de la motivation, de la confiance en soi et de l’anxiété

La visualisation mentale associée à la relaxation dispose d’effets immédiats sur la gestion de la motivation, de la confiance en soi et de l’anxiété. Ces états « programmés » dans le cerveau sont ainsi réutilisables lors des compétitions pour maitriser le niveau de stress notamment.

Vous pouvez tester, vous-même, un exemple de technique de visualisation ayant pour objectif de faire baisser le niveau de stress en regardant la vidéo que j’ai réalisée avec Camille Lacourt, quintuple champion du monde de natation.

CLIQUEZ ICI pour tester vous-même cette technique.

Rééducation fonctionnelle et réathlétisation

L’imagerie motrice est un apport peu couteux avec des bénéfices rapides pour la rééducation fonctionnelle et la réathlétisation du sportif (6). Elle peut être mise en œuvre avant même la chirurgie si cette dernière est nécessaire.

Les effets de l’imagerie motrice sont :

  • Psychologiques sur l’acceptation de la blessure, du programme de réhabilitation mais aussi du retour à la pratique.
  • Physiologiques car il y a augmentation de la force musculaire grâce à l’imagerie sans l’utilisation de contractions réelles. En bref, vous pouvez prendre de la force musculaire en imaginant juste que vous contractez vos muscles ! (7)
  • Moteurs en permettant au sportif de continuer à pratiquer mentalement ses gestes techniques pendant la période durant laquelle il est immobilisé.

Les écueils à éviter pour profiter pleinement de la visualisation mentale

Des études en neurosciences se sont penchées ces 15 dernières années sur les conditions d’efficacité de la visualisation mentale. Il ne s’agit pas simplement de fermer les yeux, d’imaginer et de recevoir des consignes pour que cela marche. Le cerveau est bien plus efficace que cela !

Relaxation et visualisation

Associer la relaxation avec la visualisation n’est pas toujours efficace et peut même se révéler contre-productif.

  • Relaxation déconseillée

La relaxation ne doit pas être associée à la visualisation lorsque le sportif souhaite visualiser pour se perfectionner, pour récupérer d’effets physiologiques et sportifs mais aussi pour analyser sa performance.

  • Relaxation conseillée

En revanche, la relaxation associée à la visualisation présente de réels bénéfices lorsque le sportif de haut niveau souhaite augmenter sa confiance en soi, sa motivation, diminuer son anxiété avant une compétition ou récupérer d’effets psychologiques après une compétition.

Consignes de pratique de la visualisation

Pour profiter pleinement de toute la puissance du mental, la visualisation doit se pratiquer en respectant certaines consignes de pratiques qui ont toutes été testées et validées par des expérimentations issues des neurosciences. En voici donc un résumé opérationnel.

Être fidèle à la réalité : devenir maitre du temps et de l’espace !

Reconstruire le plus fidèlement possible la réalité par la visualisation s’apprend. Comme tout apprentissage, il est nécessaire de mettre en place une progression allant des tâches les plus faciles au plus difficiles.

Au début, un sportif aura peut-être du mal à percevoir les « bonnes » dimensions et faire « défiler » le temps correctement. Il est nécessaire pour cela qu’il soit accompagné d’une personne qui va évaluer par une succession de questions mais aussi par un chronométrage sa capacité à reproduire fidèlement la réalité. Dans le cadre de cet apprentissage, les questions vont aussi servir à contrôler que le sportif respecte bien les consignes, un minimum pour un process où tout se passe dans la tête !

S’entrainer mentalement sur un terrain dont les dimensions imaginées sont erronées ou réaliser un exercice mentalement deux fois plus vite que la réalité est contre-productif. 

 Souvenez-vous, le cerveau ne fait quasiment aucune différence entre le fait de courir et le fait d’imaginer courir….

Éveil physiologique proche de celui de la pratique (8)

S’imaginer courir avachi sur son canapé n’apportera pas grand-chose au sportif ! Pendant le confinement, les visualisations de déplacements que je faisais pratiquer aux personnes que j’accompagnais se faisaient systématiquement après leur séance d’entrainement physique.

Attention toutefois de ne pas aller trop loin. En effet, faire de la visualisation mentale lorsque le sportif est fatigué, diminue les effets de cette dernière (9).

Dans l’image ou hors de l’image ?

Se voir faire ou s’imaginer faire sont deux perceptions différentes. La première place le sportif en tant que spectateur (position dissociée) alors que la deuxième place l’athlète au cœur de l’action (position associée). Quand il s’agit de prendre du recul ou d’analyser alors la position du spectateur est la plus efficace. À contrario, quand il s’agit de vivre, ressentir des sensations ou émotions positives alors la position associée est la plus appropriée.

Privilégiez la qualité à la quantité !

Répéter inlassablement un exercice de visualisation mentale devient très vite contre-productif. Une base de travail correcte pourrait être la suivante : pour un mouvement ou un exercice de visualisation de 10 à 15 s, ne pas faire plus de 12 à 15 essais (10).

Visualisation positive

C’est une évidence mais il est toutefois utile de le préciser. Tout ce qui est visualisé doit être tourné sur du positif. Pourquoi ? Simplement parce que le cerveau est essentiellement prédictif, donc visualiser du positif amènera du positif !

L’objectif de la préparation mentale de tout sportif de haut niveau est de découvrir, chaque jour, une nouvelle version de lui-même capable de répondre aux impératifs et aux exigences du très haut niveau. L’idéal est d’amener ces compétences cognitives très tôt dans la vie du sportif pour ensuite aider l’entraineur dans sa tâche. Tout cela est possible à condition d’éviter certains écueils.

Notes :

(1) Motor Imagery Integration Model in Sport (Guillot et Collet, 2008)

(2) Hanakawa et al, 2008

(3) Pascual Leone et Al , 1995

(4) Guillot et al, 2010

(5) Wei et Luo, 2009

(6) Brewer et al, 2002

(7) Yue and Cole, 1992 – Ranganathan et al, 2004

(8) Louis et al, 2011

(9) Di Rienzo et al, 2012

(10) Guillot et al, 2008 – Collet et al, 2011